« Il faut purger l’hypothèque environnementale… »

Ce titre a de quoi surprendre. Ce n’est jamais qu’une citation de l’ancien préfet de Seine-Maritime, Pierre de Bousquet, qui en octobre 2012 s’est rendu à Bruxelles pour défendre le projet de Contournement Est de Rouen1. Cette sentence résume parfaitement le point de vue de l’Etat qui depuis près de quatre décennies essaie de réaliser une rocade à l’est de la capitale régionale de la Haute-Normandie. Quels que soient les arguments des écologistes et des associations de protection de la nature et de l’environnement, ce projet n’a jamais été abandonné. Malgré d’innombrables obstacles en particulier financiers, les intérêts économiques réitèrent inlassablement leur demande d’une nouvelle infrastructure routière qui serait selon eux favorable à l’attractivité et la compétitivité du territoire.

Chacun peut se rendre compte du caractère incantatoire de cette revendication. Rouen et la Haute-Normandie possèdent déjà un réseau routier dense et maillé. Réseau qui a considérablement été étendu au cours de la dernière décennie. Les réalisations se sont multipliées impactant toujours un peu plus la biodiversité sans pour autant amener une augmentation significative des flux. Le barreau Sud de Rouen est une grande saignée vide qui a cassé la Forêt du Rouvray. L’A150, en cours de réalisation, quant à elle, s’annonce plutôt comme un cadeau fait à Ferrero France que comme une infrastructure d’intérêt public.

Mais tout cela ne suffit pas. Les édiles locaux du Grand Rouen soucieux de répondre aux doléances des industriels et des transporteurs veulent un grand équipement de plus.
Ainsi, nous avons affaire aujourd’hui à une proposition hybride mélangeant deux projets au demeurant distincts : celui d’une rocade de l’agglomération rouennaise et celui d’une liaison A28-A13 prévue par le Schéma National des Infrastructures de Transport d’octobre 20112 (SNIT) puis confirmée par la Commission Mobilité 21 en juin 20133. La raison de cette confusion est purement comptable mais ses conséquences seront sanitaires, environnementales et sociales. Voilà pourquoi, plus que jamais, il faut dire non à ce projet absurde…

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 Il faut dire que le projet est fort cher au vu de la configuration du site. Quand on ajoute aux nécessaires ouvrages d’art les doléances locales qui exigent des tunnels, des équipements anti-bruit voire des raccordements et des mesures compensatoires, on comprend mieux pourquoi le coût global du projet a été multiplié par 4 en deux décennies. De 275 millions € en 1993 on serait passé à 1,05 milliard et plus probablement à 1,5 milliard. Ce glissement des coûts donne à voir clairement le côté fantasmagorique de ce projet. Plus le contournement s’avère difficile à financer plus les exigences grandissent. Plus ces exigences s’affirment, plus elles se heurtent à une réalité qui vient ébranler le bienfondé du projet.

En effet, on est bien en présence d’un contournement impossible. Ce n’est pas de la faute des écologistes si le captage de Fontaine-sous-Préaux est vital pour l’agglomération de Rouen. Ce n’est pas de leur faute si de charmantes petites plantes ont élu domicile sur les coteaux de Belbeuf. Chaque kilomètre du projet présente un nombre impressionnant de contraintes de différentes natures qui viennent ruiner à la base son acceptabilité. Aujourd’hui ce sont les riverains du tracé préférentiel qui sont les plus véhéments. La crainte de voir sa maison détruite ou sa propriété réduite motive une nouvelle génération d’opposants.

Des intérêts qui jusque-là étaient favorables au contournement commencent à formuler de vives réserves. Comme l’a donné à voir la séance inaugurale de la concertation qui s’est tenue à Rouen le 02 juin dernier, le péage ne passe pas. Beaucoup attendaient un « périphérique » libre d’accès espérant que le nouvel équipement facilite l’accès au coeur de l’agglomération. Si on peut comprendre la légitimité de ce besoin, force est de reconnaître que la réponse qui leur est proposée ne correspond guère à la réalité géographique. Il suffit de regarder quelques cartes pour s’en convaincre :

Tout d’abord, la zone visée par le projet n’est guère peuplée. L’INSEE force le trait en désignant les communes de l’arc qui s’étend de Saint-léger du Bourg Denis à Belbeuf comme des « communes résidentielles de banlieue4 ». Nous avons affaire ici à un espace périurbain qui par bien des aspects reste rural5.

Ensuite, les flux qui sont issus de cet espace sont modestes au regard des autres secteurs de l’aire urbaine de Rouen.

L’INSEE ne dit pas autre chose dans une publication dont les conclusions restent pertinentes :

La commune de Rouen, de loin le premier pôle d´emploi du territoire d´étude, attire des flux répartis de façon assez équilibrée selon les directions d´origine. Près d´un actif sur trois qui travaille dans la capitale régionale arrive par le sud. Sur les 22 000 personnes concernées, la majorité réside dans le secteur de la Rive Gauche de l’agglomération (près de 13 000), mais beaucoup aussi sur le Plateau Est (environ 4 500 personnes qui rejoignent dans l´entrée sud-est les résidents de la vallée de l´Andelle notamment). Venant du sud, il faut également mentionner les actifs résidant dans l´agglomération d´Elbeuf (1 400) dans le Roumois (1 200) et dans l´agglomération Seine-Eure (700).

Le nord recouvre également un « petit tiers » (soit un peu plus de 20 000 personnes) des flux vers Rouen chaque jour. Les entrées par le nord-ouest (RN15, A150) sont nettement majoritaires : 12 000 actifs venant d´abord de la Vallée du Cailly (plus de 6 000 personnes) puis des communautés de communes (CC) de Caux-Austreberthe (1 600) et de Seine-Austreberthe (1 300). La CC des Portes Nord-Ouest de Rouen « envoie » plus de 2 000 actifs se répartissant sur différents axes au nord, à l´image du Plateau Nord (près de 6 000). L´entrée nord-est, en plus d´une partie des résidents du Plateau Nord, draine également les actifs de la CC du Moulin d´écalles et du Pays de Bray. Les actifs entrant par l´est (RN31) sont moins nombreux : environ 3 500 personnes résidant presque exclusivement dans les secteurs Aubette-Robec et Plateau de Martainville.
Enfin, il ne faut pas négliger les déplacements qui se font à l´intérieur de la ville de Rouen (21 000 actifs habitant et travaillant dans la commune) et dont une partie passe quotidiennement la Seine.

De façon générale, si le Plateau Nord et les communes de l´est (Plateau Est, Aubette-Robec, Plateau de Martainville…) sont fortement dépendantes de Rouen pour l´emploi, elles adressent des flux nettement moins nombreux que la Rive Gauche, qui est le premier « émetteur » d´actifs, en nombre, chaque jour vers Rouen6.

L’enjeu essentiel reste donc le franchissement de la Seine et les flux Rive gauche – Rive droite…

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le recensement 2008, l’INSEE présente des données qui sont très nettement en deçà des prévisions de trafic proposées par le maitre d’ouvrage7. Les données actualisées fournies lors de la consultation du public sur le projet de Plan de Déplacement Urbain de la Communauté d’Agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe (CREA) prouvent que les flux n’ont guère évolué8.

Les flux internes à cet espace géographique sont supérieurs à ceux avec les autres secteurs de l’agglomération (87 000 contre 75 000 véhicules/jour9 ). Les déplacements vers le coeur d’agglomération sont évalués à quelques 40 000 alors que ceux entre les secteurs « Rive Sud » et « Canteleu – Vallée du Cailly » s’élèvent à environ 125 000 unités. Preuve s’il en est que les logiques géographiques n’évoluent que lentement. De 2004 à 2014, les enjeux de mobilité restent Nord-Sud et se situent pour l’essentiel sur le secteur Ouest de l’agglomération plus peuplé, plus dense et accueillant plus d’activités économiques. S’il existe bel et bien un besoin de mobilité automobile entre les Plateaux Est et le coeur d’agglomération, il ne peut être satisfait par une Rocade mais par des pénétrantes.

Or si on lit en détail le PDU présenté à l’automne 2013, il apparaît clairement que cette accumulation de flux routiers entre coeur et périphéries de l’agglomération pose problème… d’où de longs développement sur les limites du tout voiture et la promotion, tout du moins sur le papier, d’alternatives.

Ainsi le PDU déclare-t-il :

Tissus urbains continus autour des coeurs d’agglomération, les « espaces urbains » sont moins denses et moins mixtes que les précédents. Ils sont néanmoins bâtis en continu, et accueillent des fonctions urbaines variées de logement, commerce, d’activités tertiaires et artisanales.

Leur développement se conçoit en complémentarité avec les coeurs d’agglomération, que ce soit en renouvellement urbain (pour l’habitat notamment, afin de participer à la dynamique démographique de l’agglomération) ou à travers des nouveaux secteurs d’urbanisation qui devront respecter un souci de gestion économe de l’espace (densité, efficacité foncière, formes urbaines) tant pour l’habitat que pour les activités économiques.

Le PDU de la CREA préconise de mettre l’accent sur les transports collectifs et les modes actifs pour les déplacements à l’intérieur des espaces urbains. En revanche, la marche n’est plus pertinente pour les déplacements vers les autres secteurs considérant les distances de déplacement.

Par ailleurs, la répartition des flux depuis ces secteurs ne permet pas d’apporter une alternative compétitive à l’usage du véhicule particulier pour l’ensemble des déplacements.

Ainsi, la notion d’intermodalité prend tout son sens, à cette échelle, afin de favoriser une utilisation plus rationnelle du véhicule particulier et d’assurer une meilleure articulation entre les différents réseaux de transport collectif10.

Mais les fiches actions qui concluent le Plan de Déplacement Urbain ne sont pas en cohérence avec l’état des lieux proposé. Le projet de Contournement Est est présenté par l’Action C de la fiche action 1 intitulée Achever la constitution du maillage routier de l’agglomération11. Il n’est aucunement question de faciliter l’accessibilité automobile du coeur d’agglomération. Le PDU reprend l’objectif national du comité Mobilité 21 auquel il adjoint le principe d’un 7e franchissement de la Seine vers le secteur Sud-Est de l’agglomération.

Le projet de liaison A28-A13 et son barreau de raccordement, en désengorgeant le centre-ville de Rouen et en améliorant les liaisons entre Rouen et l’Eure, contribueront à l’amélioration de la qualité de vie dans le coeur de l’agglomération rouennaise, au développement urbain et à la dynamique économique régionale.

La pénétrante attendue par bon nombre d’habitants n’est pas au rendez-vous. La liaison A28-A13 se superpose aux infrastructures existantes sans répondre aux problèmes effectifs de mobilité des particuliers. Avec ou sans cette infrastructure, le trafic ne se déplacera guère Les trois principales pénétrantes composées des RN 31, RD 6014 et RD 6015 qui supportent un important trafic de transit et d’échanges seront toujours saturées aux heures de pointe. La Place Saint-Paul demeurera un noeud où s’accumulent véhicules et pollutions.


Des aménagements peuvent soulager cette entrée de ville et améliorer la vie quotidienne des habitants des Plateaux-Est. Il s’agit en particulier d’un renforcement de la RD 138 de manière à dérouter une partie du trafic vers le Champ de Mars et le Centre-Hospitalier régional. Mais manifestement une solution aussi simple n’a pas retenu l’attention des édiles locaux12. Les Plateaux-Est sont le grand oublié du PDU13…

Une question se pose alors. Pourquoi donc persévérer dans le choix d’une rocade dont les impacts sur l’environnement et le cadre de vie sont dénoncés depuis plus de trois décennies14 ? La réponse se trouve selon nous à tout autre niveau. Une lecture attentive du rapport mobilité 21 et du dossier de concertation « contournement Est / liaison A 28-A13 » donne à voir que les motivations profondes du projet relèvent plus d’une logique économique que du souci de répondre aux besoins de mobilité des populations locales. Peu importe la dispersion de l’habitat en zone péri-urbaine, peu importe l’allongement des déplacements domicile-travail, ce qui compte pour les partisans du projet est de garantir l’accessibilité des zones d’activité de Rouen-Gauche aux camions.

Derrière un discours vaguement écolo se cache une stratégie que l’on peine à qualifier d’industrielle :

Par la réalisation de cette infrastructure, l’État – maître d’ouvrage du projet – entend participer, aux côtés des collectivités, à une amélioration de la qualité de vie des habitants, à un développement des transports en commun rendu possible par le désengorgement des voiries, et plus globalement à un développement urbain et économique équilibré du territoire15.

Puisque ni le développement des transports en commun ni le désengorgement des voiries sur les Plateaux Est de l’agglomération ne figurent dans le PDU, ne reste donc que le développement urbain et économique. Le noeud du problème se situe à notre avis à ce niveau. Le projet de contournement Est – Liaison A28-A13 soumis à concertation s’inscrit dans une stratégie de développement dont les mots clefs sont attractivité du territoire et compétitivité.

Bien des éléments justifient cette hypothèse. Les collectivités locales sont depuis une décennie persuadées que la croissance passe par le développement des activités de transport et de logistique. Récemment encore, le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) s’est prononcé en faveur du développement de ce secteur16. La stratégie de développement économique de la CREA Horizon 2020 priorise les activités de transport et de logistique, n’hésitant pas à parler d’un « territoire d’excellence logistique et portuaire ».

Ce document d’orientation ne fait que décliner une thématique définie par le schéma régionale d’aménagement et de développement du territoire (SRADT) adopté par le Conseil régional en décembre 2006.

Le développement et l’amélioration des voies de communication liant la Haute-Normandie à la dorsale européenne doivent permettre à la région de renforcer sa position géostratégique et de bénéficier ainsi de l’intensité des échanges caractérisant cet espace.

Le contrat régional de développement économique élaboré en 2011 confirme cette orientation :

En Haute-Normandie, l’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe, 8ème territoire de France avec près de 500 000 habitants, est en mesure de capter de nouvelles fonctions stratégiques sur son propre territoire – fonctions de décision économique et administrative, offre de formation ou capacités de recherche basées sur des équipements de pointe – mais aussi de favoriser, par son rayonnement, l’implantation d’activités dans l’ensemble de la région. De son côté, l’agglomération havraise, forte du premier port français pour le commerce extérieur et de sa dimension maritime, a vocation à attirer des activités logistiques de pointe et à favoriser l’implantation d’activités le long de l’axe Seine.

L’Action 4 Développer infrastructures et services de transports de marchandises et de voyageurs de l’objectif 3.1.3 Faire de l’axe Seine un projet de compétitivité économique pour tous les territoires précise les intentions de la collectivité locale et des pouvoirs publics :

S’agissant des marchandises, l’enjeu est double :

  • assurer la liaison avec le Bassin Parisien pour bénéficier des volumes d’activités liées, notamment dans le secteur des vracs secs (dont les granulats) et des biens de consommation,
  • renforcer une dynamique propre, à même de contribuer à court terme au maintien des domaines stratégiques (dont céréales et produits pétroliers) et, à moyen terme, au rééquilibrage avec les ports du Range Nord, sur le transport conteneurisé et les produits manufacturés (automobile, agroalimentaire, chimie, pharmacie…).

Les actions concernent les modes fluviaux et ferroviaires, en s’appuyant sur le projet de Maillon Ouest pour assurer la fiabilité des transports.

Les choses sont très claires. Les schémas régionaux déclinant les prescriptions de la Directive territoriale d’aménagement privilégient les infrastructures de transport et les espaces logistiques au prétexte qu’ils seraient favorables au développement économique des territoires. Non seulement un tel postulat reste à démontrer mais surtout on est en droit de douter que le projet soumis à la concertation réponde aux enjeux identifiés. On peut même considérer que le Dossier de concertation occulte les objectifs du contournement Est – Liaison A28-A13. Quoi qu’en dise le maitre d’ouvrage, cette infrastructure n’a pas pour objet de « de détourner les trafics de transit qui traversent à l’heure actuelle le coeur d’agglomération. » Bien au contraire elle entrainera une croissance des flux difficilement maitrisable.

Il suffit pour s’en convaincre de regarder les projets d’aménagements qui sont liés à la construction du Contournement Est. Pour l’essentiel, ils situent dans le secteur Sud de l’agglomération qui polarise déjà l’essentiel des flux (si les secteurs du port et de Sotteville-Rouvray sont les deux principaux générateurs de trafic marchandise du territoire, il convient de noter que l’hyper centre concentre à lui seul 1 mouvement de marchandises sur 5). Le plus important d’entre eux est sans aucun doute la zone d’aménagement concerté et inondable, ZAC Seine-Sud.

Derrière le discours sur la revitalisation industrielle, cette opération vise au développement sur d’anciennes friches industrielles d’activités tertiaires au premier rang desquelles « l’implantation d’outils logistiques multimodaux » à la jonction de la route, du rail et du fleuve. Le schéma ci-contre donne à voir clairement la complémentarité entre ce projet et le contournement Est. Le secteur logistique qui se situe au sud de la zone est ainsi dévolu à des ruptures de charge entre trois modes de transport qui au final privilégieront la route en particulier pour la desserte locale.

D’aucuns peuvent craindre au regard de l’importance du projet que la ZAC Seine Sud détermine une croissance non négligeable du trafic routier de marchandise à la grande satisfaction de la filière logistique Seine-Normandie25. Pour parler de manière triviale nous avons affaire ici à un « aspirateur à camions » voire à un « distributeur de camions » si on considère que l’interface rail-route aux pieds du 7e franchissement pourra envoyer vers l’A28 et l’A13 des camions en provenance de l’aire métropolitaine parisienne et même de plus loin.

Le plus surprenant est que dans l’Eure, c’est-à-dire dans la partie méridionale de la future métropole, un second projet est en cours. A l’extrémité Sud de la liaison A28-A13, dans le secteur d’Alizay, la CCI de l’Eure, le Port de Rouen et la Communauté de Communes Seine-Eure veulent aménager un port fluvial pour « traiter » entre 15 et 20 000 conteneurs par an. Ici aussi l’objectif est de réaliser une plateforme multimodale aux bénéfices des industries locales (Chimie, bois-énergie et matériaux bio-sourcés).

A terme ce sont donc deux pôles logistiques qui devraient voir le jour l’un comme l’autre connectés sur l’axe Seine et le fameux Contournement-Est. Cette étrange coïncidence amène à se demander si le projet de liaison A28-A13 n’est pas la condition nécessaire au développement de ces aires logistiques. La filière logistique toujours en quête de foncier et d’infrastructures n’a-t-elle pas demandé au pouvoir public de construire un grand équipement en promettant en échange de créer des emplois et du Chiffre d’affaire dans un territoire en proie à une crise profonde ?

Ce n’est qu’une hypothèse mais la lecture du Plan de déplacement urbain de la CREA montre un souci évident des collectivités locales à soutenir cette filière dite d’excellence. S’il est question de limiter l’usage de la voiture individuelle, tout semble fait pour permettre au transport routier de marchandise de se développer sans entraves majeures.

Les principaux itinéraires de l’agglomération supportant des trafics de poids lourds sont :

  • l’A28-RN28 (tunnel de la Grand Mare)-Pont Mathilde-RD18E avec des trafics moyens oscillant entre 5 500 et 7 000 poids lourds par jour ;
  • l’A150-Avenue du Mont Riboudet-Quai Ferdinand de Lesseps avec des trafics moyens oscillant entre 4 200 et 5 000 poids lourds par jour.

Bien qu’il n’y ait pas de corrélation directe entre les volumes de trafics mesurés sur les infrastructures et les zones qui la jouxtent, les comptages nous enseignent que les deux principaux pôles générateurs de trafics poids lourds de l’agglomération sont la zone industrielle de Sotteville-lès-Rouen / Saint Etienne du Rouvray et l’ensemble du complexe portuaire.

La Fiche action 13 du PDU s’intitule en effet « renforcer l’attractivité logistique du territoire. » S’il est question de valoriser les alternatives au transport routier, le document insiste sur le nécessaire développement du secteur logistique. Le projet de ZAC Seine-Sud est mis en avant. « Cette future zone d’activité dispose d’atouts géographiques remarquables qui la positionnent comme une plate-forme multimodale extrêmement attractive, le long de l’axe Seine, en complément des deux grands ports Maritimes de Rouen et du Havre, et d’autres plateformes avoisinantes. Autour d’activités innovantes, d’industries à forte valeur ajoutée, de la logistique, des services, Seine Sud a vocation à contribuer de manière importante au développement de la CREA. » Mais on ne trouve nulle part, pas même dans le Rapport environnemental, de préconisations claires pour réduire de manière effective le trafic routier de marchandise. Tout au plus le Rapport environnemental envisage « La mise en place d’outils de réflexion et d’expérimentation en lien avec les différents acteurs de la logistique. »

Tout cela n’est guère précis est force à s’interroger sur la compatibilité entre le PDU de l’agglomération de Rouen et le Schéma régional du Climat, de l’Air et de l’Energie adopté en mars 2013 par le conseil régional32. En matière d’émissions de polluants atmosphériques, le scénario haut-normand vise une diminution de 34% des émissions de PM10 entre 2005 et 2020, et une diminution de 42% des émissions de NOx entre 2005 et 202033. Qu’en sera-t-il en 2024 si le Contournement-Est est mis en service ? Ni le PDU ni le dossier de concertation n’apportent de réponses à cette question… La consommation d’hydrocarbures et les émissions de gaz à effet de serre sont quant à elles esquivées par le PDU et plus globalement par le projet de Contournement Est. Qui peut croire que « l’aspirateur à camions » que constitue le couple Contournement Est – ZAC Seine-Sud ne va pas péjorer gravement le bilan climatique et énergétique de l’agglomération ?

Nous avons bel et bien affaire à une probable catastrophe environnementale. Avec un tel projet il y a fort à craindre que la Région ne tiendra jamais les objectifs proposés par le SRCAE que ce soit sur le plan climatique ou sur le plan énergétique. Comment espérer atteindre le Facteur 435 à l’échelle de la France si une Région qui rassemble près de 2 millions d’habitants ne met pas en oeuvre des efforts conséquents ?

Si on résume les différents arguments avancés jusque-là mettant en cause le projet de Contournement-Est – Liaison A28-A13, il apparaît que :

1. ce projet n’apporte pas de bénéfices conséquents en termes de mobilité pour les habitants des Plateaux Est si ce n’est pour rallier la Communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE),

2. ce projet est principalement déterminé par l’aménagement d’aires logistiques dont l’activité se traduira par une augmentation des flux routiers tout du moins en intensité,

3. loin de limiter les pollutions atmosphériques comme le promet page 12 le Dossier de concertation, ce projet va entrainer une péjoration de la qualité de l’air à l’échelle de la future métropole et entraver la nécessaire descente énergétique pour atteindre les objectifs climatiques définis en 2008

L’opposition à ce projet ne se résume donc pas à la seule défense de l’environnement au sens propre. Si les différents tracés présentés par cette concertation se caractérisent par des atteintes au cadre naturel et des impacts très négatifs sur la ressource en eau, c’est le cadre de vie des riverains qui va être terriblement abîmé par ce projet… sans qu’ils bénéficient d’un service répondant à leurs besoins légitimes de mobilité.

*

Nous sommes donc bien en présence d’un Grand projet inutile néfaste pour les humains comme pour l’environnement. Inutile parce qu’il étend l’artificialisation des terres et l’étalement urbain. Inutile parce qu’il laisse croire que l’ère du tout-voiture durera. Inutile parce qu’il va à l’encontre de la nécessité de relocaliser l’activité économique et donc de diminuer les flux de marchandises. Inutile parce qu’il dilapide des ressources financières considérables qui seraient plus utiles pour soutenir une authentique transition écologique. Inutile parce qu’une liaison A28-A13 existe déjà grâce au Pont de Normandie. Inutile parce qu’il ne fait que renforcer les déséquilibres entre les deux principaux pôles urbains de Seine-Maritime, Le Havre et Rouen. Inutile parce qu’il ne répond en rien à la nécessité de mieux intégrer les territoires de Haute et Basse Normandie à l’heure de la fusion de ces deux régions. Inutile parce qu’il marque l’inféodation de notre territoire aux besoins du Grand Paris….

Nous ne voulons ni de péage ni d’autoroute sur les plateaux Est de Rouen et revendiquons :

1. l’abandon du projet de liaison A28-A13

2. Un transport collectif à haut niveau de service de Rouen à Boos et de Rouen à Tourville par la route de Paris,

3. la réhabilitation pour le trafic voyageur du réseau ferré sur l’ensemble de l’arc Est de la métropole normande,

4. l’aménagement de parkings relais au niveau des gares et des arrêts des transports en commun,

5. la restauration du triage de Sotteville en cohérence avec le projet de ZAC Seine-Sud comme aire logistique fleuve-rail,

6. le maintien de l’interdiction de circuler sur l’A28 dans le sens Abbeville-Rouen pour les Poids lourds à partir de l’échangeur du Pucheuil comme le prescrit l’arrêté n°12-166 du préfet de la Région Haute-Normandie du 31 octobre 2012