Schéma Régional de Cohérence Ecologique Haute-Normandie – Notr avis

La consultation du public et de la société civile est une étape importante de l’élaboration des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE)[1]. Afin d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement, il est en effet nécessaire de recueillir les avis des acteurs du territoire et plus particulièrement des associations de protection de la Nature et de l’environnement (APNE). L’enjeu n’est pas des moindres : il s’agit d’élaborer de manière concertée et pluraliste un schéma d’aménagement durable du territoire à la mesure des enjeux du XXIe siècle auxquels la région Haute-Normandie est confrontée.

Au coeur de la démarche, comme l’expose clairement le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE), se trouve l’ambition de définir des Trames vertes et bleues (TVB) « qui vise à (re)constituer un réseau écologique cohérent, à l’échelle du territoire national, pour permettre aux espèces animales et végétales, de circuler, de s’alimenter, de se reproduire, de se reposer… En d’autres termes, d’assurer leur survie, et permettre aux écosystèmes de continuer à rendre à l’homme leurs services[2]. » Le SRCE doit donc permettre d’enrayer la fragmentation des milieux naturels en préservant ou en reconstituant un réseau d’échanges naturel sur tout le territoire.

Outil d’aménagement durable des territoires au service des habitants, de la faune et de la flore, le SRCE vise à inscrire la préservation de la biodiversité dans les documents d’urbanisme des collectivités territoriales.

L’ambition n’est pas mince pour une région telle que la Haute-Normandie où la Nature porte les stigmates de deux siècles d’urbanisation non maitrisée, d’industrialisation et de développement d’une agriculture intensive. Nulle autre région ne connaît une situation environnementale et écologique aussi précaire. En effet la Haute-normandie a été classée en 2010 par la Magazine Terra Eco 22e sur 22 en matière d’environnement[3].

Ce jugement est sévère mais il repose sur des faits tangibles qui établis de manière objective. Quatre années plus tard, d’aucuns peuvent même considérer que la situation s’est encore dégradée en raison de la réalisation de projets d’aménagement tel l’A 150, de l’intensification de l’exploitation des forêts, de la péjoration des milieux humides et surtout de la mise en culture d’herbages[4].

*

Or force est de constater que le SRCE tel qu’il nous est présenté n’est guère à la mesure de la situation. En premier lieu, on ne peut que regretter le caractère limité et formel de l’état des lieux proposé. Le diagnostique du territoire régional ne représente que quelques 10% du SRCE (p. 35-52).

Le constat d’une érosion profonde de la biodiversité est certes établi :

La flore vasculaire contemporaine de Haute-Normandie compte 1578 espèces. Depuis le XIXème siècle, 125 espèces ont disparu (soit un rythme de disparition moyen de 2 espèces tous les trois ans) et 347 espèces menacées (soit 29% de la flore régionale) dont 98 à très court terme (Source CBNBL). De même pour les 4398 espèces de champignons haut normands, 160 ont disparu et 720 sont très menacés. (Source : étude Malaval 2002) . La régression des espèces animales est également alarmante. Sur les 92 espèces de papillons de jour répertoriées au début du XXème, 74 sont inventoriées aujourd’hui, soit une perte de plus de 19% de la diversité régionale (Source : ASEIHN et CENHN). Concernant les Orthoptères, 3 espèces sont considérées comme disparues et 18,5% des espèces sont menacées, principalement les espèces de zones humides puis les espèces des milieux chauds et secs (Source : CENHN et Peter Stallegger). En 2013, la Haute-Normandie compte 75 espèces de Mammifères, 4 espèces ont disparu depuis le 17ème siècle et 25% sont menacées (Source : GMN). De plus, pour l’avifaune, on dénombre 44 % d’oiseaux nicheurs menacés. Enfin, en lien avec la disparition des mares et des zones humides, 79% des Amphibiens connaissent une régression de leur aire d’occupation, et en particulier la Rainette verte, l’Alyte accoucheur, le Grenouille Rousse et le Triton crêté. Ce constat sur les zones humides est conforté par le cortège des libellules où 35% des espèces sont menacées. Une étude réalisée par les fédérations de pêches de l’Eure et de Seine Maritime est en cours pour déterminer le classement des menaces sur la vie piscicole en Haute Normandie.[5]

Mais si une analyse détaillée est proposée, la réflexion sur les causes et les mécanismes de cette érosion n’est pas approfondie. Le SRCE accumule des éléments factuels très intéressants mais ne les mets en cohérence et au final ne donne pas à voir la singularité de la situation régionale.

Tout au plus le diagnostique propose une comparaison entre la Haute-Normandie et les autres régions de France métropolitaine :

  • une importance accrue des espaces agricoles, environ 22 % de plus en Haute Normandie par rapport à la France métropolitaine
  • un développement fort des espaces artificialisés environ 41 % de plus en Haute Normandie par rapport à la France métropolitaine
  • une faiblesse du volume d’espaces naturels environ 46 % de moins en Haute Normandie par rapport à la France métropolitaine

Par ailleurs, l’analyse spatiale de l’occupation du sol révèle que les principaux espaces urbanisés sont les vallées, espaces abritant également les principaux espaces naturels de la région ; espaces également où, comme l’a montré le diagnostic écologique de la région, existent de multiples enjeux de continuités écologiques (continuité de la sous-trame zone humide, continuité de la sous-trame neutrocalcaire, continuité entre les sous-trames….).

Le développement de l’artificialisation des milieux dans les vallées est donc particulièrement défavorable à la biodiversité. L’analyse des évolutions récentes mettent en évidence une augmentation continue de l’artificialisation des milieux aux dépens des milieux agricoles et naturels.

Au cours des dix dernières années, l’espace urbanisé a fortement progressé, principalement au détriment des espaces agricoles auxquels il a prélevé environ 300 hectares par an et, dans une moindre mesure, des espaces naturels auxquels il a prélevé environ 100 hectares par an[6].

Le texte aboutit au final à une formule très générale :  » L’analyse de l’occupation du sol actuelle met en évidence le fort impact des activités humaines en Haute Normandie. » On se doute bien que ce n’est pas la fatalité qui est à l’origine de la crise écologique que nous traversons. Une crise si importante que certains parlent d’une 6e extinction des espèces est en cour[7].

Force est de reconnaitre que le SRCE néglige ces enjeux globaux. Telle est la seconde critique que nous pouvons formuler. Faute d’une mise en perspective des problèmes, ce SRCE peine à justifier la stratégie qu’il préconise et fragilise donc leur acceptation par le plus grand nombre. Plutôt qu’un simple inventaire des lois et règlements mis en œuvre, nous attendions un argumentation qui explique pourquoi il est urgent et nécessaire de déployer une stratégie locale de protection de la nature et de l’environnement.

En particulier en Haute-Normandie, il n’est pas inutile de rappeler quelques généralités que beaucoup négligent voire ignorent. Il ne suffit pas de décrire une situation, il faut aussi expliquer pourquoi la protection de la Nature est nécessaire et quelles sont les implications du constat établi. Les quelques lignes des pages 4 et 5 apparaissent ainsi comme bien modestes. Des rappels s’imposaient. Le SRCE gagnerait un légitimité si un effort argumentatif était fait pour expliquer qu’il met en œuvre les principes énoncés par la Charte de l’environnement et surtout qu’il s’inscrit dans une orientation internationale notamment définie par le rapport Brundtland[8].

C’est bien parce que la protection de la biodiversité est une responsabilité qui nous échoie vis à vis des générations futures qu’elle est nécessaire. Bien loin de céder au catastrophisme fut-il éclairé, il s’agit de faire œuvre de pédagogie pour convaincre le plus grand nombre que l’écologie peut être utile lorsqu’elle se décline en politiques publiques effectives et efficientes.

Or il y a là un sujet d’interrogation. Si la présentation des interactions entre biodiversité et activités humaines est intéressante, on est en droit de se demander si les préconisations du SRCE sont à la mesure du constat établi. Telle est la troisième critique que nous formulons. Si la cartographie des enjeux faunistiques et floristiques est nécessaire, réduire la politique de protection de la nature et de l’environnement à une seule approche spatiale n’est pas suffisant. Une approche dynamique des atteintes à l’environnement fait défaut. La stratégie de cohérence écologique se trouve à un zonage fragile et à quelques mesures compensatoires dont l’efficience reste à démontrer. Une grande partie du territoire se trouve dès lors classée comme définitivement artificialisé.

Malgré des déclarations d’intention honorables et un cadre réglementaire favorable, le SRCE ne propose pas une démarche qui soit pleinement satisfaisante. Si une stratégie et des mesures précises sont envisagées :

Deux objectifs principaux ont été définis dans le cadre de l’élaboration du plan d’action stratégique du SRCE de la Haute Normandie:

Préserver et restaurer les réservoirs et les corridors identifiés au niveau régional ou inter régional.

Les espèces animales et végétales doivent être en mesure de se déplacer dans de bonnes conditions, afin de maintenir durablement leur population et à s’adapter aux changements de l’environnement en prenant en compte le changement climatique. La préservation des réservoirs de biodiversité existants et la limitation des pressions qui pourraient impacter leur fonctionnalité ainsi que le maintien et la restauration des connections que sont les corridors sont les priorités pour limiter la perte de la biodiversité en Haute-Normandie.

Réduire la fragmentation et résorber les points noirs

L’objectif étant tout autant de préserver les corridors existants que de restaurer les corridors dégradés, voir de créer des corridors manquant. La restauration des corridors dégradés sera orienté sur les zones à fort enjeu (connections entre deux réservoirs d’intérêt régional ou inter régional). Ces actions de restauration consisteront à l’identification et la résorption des points noirs (zones infranchissables) ou la remise en état de la fonctionnalité sur des corridors dégradés existants[9].

Il s’agit selon nous d’une approche patrimoniale de l’environnement qui réduit ses ambitions à quelques espaces et quelques espèces. Ce cadrage nationale s’il est nécessaire aurait pu être renforcé au regard de la spécificité des milieux décrit dans l’Analyse de la biodiversité du territoire (p. 14-34). La Prise en compte des listes d’espèces proposées par le comité opérationnel (COMOP) trame verte et bleue pour la cohérence nationale de la TVB donne à voir clairement les limites de la démarche :

La Trame verte et bleue doit permettre de préserver en priorité les espèces sensibles à la fragmentation dont la préservation est considérée comme un enjeu national et, par conséquent, pour lesquelles la préservation ou la remise en bon état de continuités écologiques est une solution adaptée. Ce faisant, la Trame verte et bleue doit contribuer au maintien et à l’amélioration de l’état de conservation de ces espèces.

La mise en place de la Trame verte et bleue à l’échelle nationale vise à maintenir, voire à renforcer les populations de ces espèces, en particulier au niveau de leurs bastions à l’échelle nationale, et de rendre possible la dispersion d’individus dans ou entre ces bastions au sein d’une aire de répartition inter-régionale et de leurs fronts d’avancée, dans une perspective de changement climatique.

Sur la base du meilleur état des connaissances disponibles, les espèces concernées sont listées en annexe 1 pour chaque région et pour les groupes taxonomiques suivants :

  • vertébrés : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens ;
  • invertébrés : rhopalocères, odonates et orthoptères.

Le choix de ces espèces repose sur l’identification, dans chaque région, d’espèces menacées ou non menacées au niveau national pour lesquelles la région considérée possède une responsabilité forte en termes de conservation des populations au niveau national voire international et pour lesquelles les continuités écologiques peuvent jouer un rôle important[10].

La stratégie de protection et de restauration est fort modeste. N’aurait-il pas été plus pertinent d’identifier des habitats et autres milieux pour concevoir une protection globale du vivant qui garantisse la pérennité des espèces classées, tout du moins dans les conditions climatiques actuelles ?

Une contradiction entre les objectifs et la stratégie proposée nous apparaît. Le SRCE doit envisager une approche systémique de la biodiversité qui aille au delà de la seule préservation de « la patrimonialité et la fonctionnalité des grandes entités biologiques fonctionnelles. »

A croire que nous avons affaire à une démarche muséographique. Une nature « utile » est identifiée pour faire l’objet de mesures au demeurant pertinentes mais l’essentiel du territoire se trouve de fait écarté de la stratégie de protection et de restauration. Le SRCE fait ainsi le catalogue de ce qui doit être conservé et admet que le reste peut être livrer aux appétits des hommes et de leurs machines.

Cette démarche n’est pas pleinement satisfaisante. Tout d’abord parce que la Nature ne se sanctuarise pas. Même si l’on prend garde à connecter les différents espaces faisant l’objet de mesures spécifiques de préservation, il est à craindre que leur pérennité soit compromise faute d’une stratégie claire visant à limiter les impacts locaux des activités humaines. Tout au plus le SRCE conçoit la nécessité de restaurer des corridors exposés à la fragmentation[11].

L’ambition est nécessaire mais elle est dérisoire au regard de la très importante fragmentation qui existe en Haute-Normandie et de projets inutiles tel le contournement Est de Rouen ou le projet de réacteur EPR à Penly qui menacent les habitats et les espaces naturels. Les continuités écologiques sont un enjeu suffisamment important pour aller au delà de quelques intentions.

On peut craindre en conséquence que ce SRCE ne vise pas tant à protéger la Nature et l’environnement mais seulement à ralentir une artificialisation des espaces conçues comme inéluctable. La contradiction entre les intentions et la stratégie proposée risque finalement de se refermer aux dépends des milieux naturels et au final du droit de chacun à vivre dans un environnement sain.

Le texte lui-même admet ces limites :

L’objectif du SRCE est la préservation au maximum des réservoirs identifiés et, en cas d’impossible préservation la mise en place de mesures compensatoires. Bien sûr cette préservation passe aussi par une gestion adaptée, notamment quand la nature même du réservoir dépend d’un stade évolutif non stable comme c’est le cas des pelouses calcicoles ou silicicoles. Cependant, le SRCE n’a pas vocation à définir avec précision ces modes de gestion[12].

Nonobstant cette dernière remarque, le choix méthodologique pour les réservoirs du SRCE de Haute Normandie ne fait pas apparaître de réservoirs à restaurer en tant que tels, excepté pour la trame silicicole. Cette trame est si dégradée qu’il s’avère en effet nécessaire de restaurer des réservoirs, notamment au sein des espaces boisés silicicoles (souvent enrésinées) des boucles de la Seine amont par l’élargissement de layons, voir la création de clairières, mais aussi des espaces urbains, où il ne subsiste que des reliquats des milieux naturels d’origine, compte tenu des usages actuels[13].

Il va sans dire que cela n’est pas acceptable pour le mouvement écologiste. La définition et les mesures de protection des réservoirs sont un enjeu suffisamment important ici pour être envisagé de manière précise quelque soit le cadre réglementaire national. Le droit à l’expérimentation dont dispose aujourd’hui les collectivités locales peut permettre de fonder une stratégie audacieuse qui garantisse la pérennité des mesures envisagées, la durabilité des choix faits.

La prise en compte du changement climatique donne à voir les limites de la démarche proposée par le SRCE. Le texte se contente encore une fois de quelques déclarations d’intentions sans identifier des mesures précises :

Un des effets attendus du changement climatique est une remontée vers le Nord des espèces en lien avec l’augmentation de température. Les continuités mises en place par le SRCE devront permettre aux espèces cette remontée et des corridors de configuration Sud-Nord devront donc exister. Les vallées ouvertes Nord-Sud seront au coeur de cette problématique.

Cette remontée se fera par les vallées de la Seine et de l’Eure d’autant que leurs sources situées plus au Sud font l’objet de compensations édapho-climatiques vis à vis des influences méridionales. Ces vallées constitueront donc la principale voie de remontée des différentes espèces méridionales. Le SRCE veillera alors tout particulièrement, dans le cadre de l’intégration de cette problématique de changement climatique, à l’établissement d’une véritable continuité écologique dans la vallée de Seine et à la liaison avec la vallée d’Eure.

La remontée vers le Nord nécessitera également la présence régulière de réservoirs de biodiversité qui autoriseront l’installation progressive de nouvelles espèces[14].

Voilà une bien modeste stratégie d’adaptation. Si cela s’inscrit dans le cadre des orientations nationales définies à l’issue du Grenelle[15], force est de reconnaître que le SRCE n’est guère disert. Il n’y nul trace d’une volonté de mise en cohérence du SRCE avec la Stratégie d’adaptation aux aléas climatiques dans un contexte de changement du climat en Haute-Normandie[16]. Rien n’est dit sur la gestion des ressources en eau qui vont être nettement impactées par l’évolution des températures et des précipitations[17]. La ressource en eau est déjà nettement abimé par la concentration d’intrants agricoles, elle risque de devenir plus difficilement mobilisable au cours des décennies à venir[18].

1°) Un déficit de 2 milliards de m3 par an pour satisfaire les besoins de l’industrie, de l’agriculture (irrigation) et de l’alimentation en eau potable à l’horizon 2050, en  considérant une stabilité de la demande.

2°) Une baisse des écoulements des cours d’eau de 15 à 30 % en 2050.

3°) Le réchauffement « naturel » des cours d’eaux et tension sur les rejets thermiques  industriels. La température des rivières pourrait excéder spontanément la limite actuelle  réglementaire des rejets industriels.

4°) 25 % de perte par fuite dans les réseaux d’eau potable, dès à présent[19].

Il y a là un enjeu majeur. La protection des zones humides à moyen terme implique obligatoirement de réfléchir aux prélèvements réalisés dans le milieu naturel en particulier par l’agriculture… dans une région où les rivières peuvent disparaître soudainement[20].

Un autre milieu sensible est exposé au changement climatique, le littoral. Or bien peu est dit sur une stratégie d’atténuation du changement climatique sur les falaises[21]. Cela est d’autant plus surprenant que ce « patrimoine » régional connait une crise sans précédent. Considérablement abimé par les aménagements portuaires, les épis construits par les communes et surtout les deux site nucléaires, ce milieu est aujourd’hui en péril de l’aveu même de la DREAL 76[22].

Alors que le département de Seine-Maritime espérait obtenir le classement du littoral par l’UNESCO[23], on est en droit de s’étonner de la faiblesse des préconisations du SRCE. Effet de Serre toi-même ! et le Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs demandent en conséquence qu’un authentique Plan littoral seinomarin vienne compléter le SRCE afin de protéger l’environnement mais aussi de garantir la pérennité d’activités humaines qui sont au coeur de l’identité régionale. La pêche n’a pas vocation à devenir un objet de mémoire, c’est un secteur très important pour la vitalité du territoire si tant est que des pratiques soutenables soient favorisées et que les grands projets prennent en compte de manière significative les enjeux environnementaux[24].

On en arrive de la sorte à l’ultime remarque que nous pouvons formuler sur ce Schéma régional de cohérence écologique. La préservation durable et efficiente de la biodiversité implique une révision approfondie des politiques publiques et de l’aménagement du territoire. Afin de protéger et de restaurer des milieux saccagés par deux siècles d’industrialisation et d’urbanisation, il convient de mettre un terme à une conception du territoire qui oublie la Nature sans avoir apporter l’emploi et la prospérité promise.

A défaut d’une telle ambition, d’aucuns peuvent craindre que les ambitions du SRCE restent lettre morte. Il est illusoire de prétendre préserver la Nature et de laisser libre cours à des aménagements qui cassent les milieux, les paysages et le cadre de vie. Pour ne retenir qu’un exemple : l’estuaire et le fleuve, déjà considérablement abimés, doivent faire l’objet d’une réelle stratégie de protection qui modère les appétits des opérateurs portuaires, et des industriels. Il s’agit en définitive de mettre un terme à une conception très répandue selon laquelle la Haute-Normandie n’est jamais qu’une réserve foncière du Grand Paris.

Si la région veut réellement engager une stratégie de protection de la Nature et de l’environnement, elle doit donc revoir complètement son approche du territoire. Le problème n’est pas « d’exister à côté de la région capitale[25]« , mais d’envisager un autre modèle de développement économique et sociale de la région qui respecte l’environnement et les générations futures. L’avenir de la Haute-Normandie et plus largement de la Normandie n’est pas dans la logistique et des industries exposées à la déplétion des matières premières fossiles (et fissiles) mais dans une relocalisation des activités pour une exploitation raisonnée et durable des ressources locales. C’est seulement ainsi que pourra se concrétiser l’engagement énoncé par le Schéma régional de développement et d’aménagement du territoire de décembre 2006 :

L’objectif est de créer les conditions nécessaires pour que l’environnement soit désormais pris en compte et intégré par l’ensemble des Haut-Normands comme un vrai patrimoine à gérer durablement. Ceci passe notamment par la modification des comportements individuels et collectifs[26].

Mais pour cela faut il encore admettre que le « patrimoine naturel » n’est pas seulement un « vecteur d’attractivité du territoire« . Comme le souligne clairement l’association ATTAC, la Nature est un bien commun et non une marchandise[27]. Penser un réel schéma régional de cohérence écologique revient dès lors à admettre que la Nature a aussi des droits[28]. Cela est reconnu depuis peu pour les animaux[29]. Il convient d’avancer dans ce sens pour l’ensemble du vivant à l’instar de ce qui est fait ailleurs[30]. Comme nous l’avons souligner à l’occasion du débat public sur le projet de parc éolien en mer au large de Fécamp c’est une question de justice environnementale[31].

*

Pour conclure, nous regrettons que le SRCE ne prenne pas en compte suffisamment les enjeux globaux et les implications locales d’un nécessaire protection de la Nature et de l’environnement. Si l’état des lieux proposés est intéressant, force est de reconnaitre que les prescriptions de ce document d’orientation sont trop modestes. Le SRCE, conformément au cadre réglementaire dans lequel il s’inscrit, se contente d’indiquer des « outils réglementaires » pour atteindre la cohérence écologique visée.  » Une des solutions les plus efficaces pour en maîtriser l’impact sur la biodiversité est de réaliser des documents de planifications que sont les SCOT et les PLU à condition que ces derniers intègrent en amont les enjeux de la biodiversité et des continuités biologiques. C’est de fait l’objectif principal du SRCE et des lois Grenelle[32]. » Le Plan d’action stratégique manque d’ambition et surtout de cohérence. Fondée la stratégie de préservation sur les contrats Natura 2000 n’est guère sérieux dans une région où certains veulent « purger l’hypothèque environnementale[33]  » pour mener à bien des projets en totale contradiction avec les droits de la Nature.

En conséquence nous attendons de l’Etat et de la Région la formulation d’une stratégie cohérente de préservation de la Nature. Des outils réglementaires ou contractuels ne peuvent suffire à enrayer la crise écologique. L’Autorité environnementale dans son avis du 14 avril 2014 ne dit pas autre chose.

Ce SRCE manque d’élan et surtout de visions à long terme. L’urgence impose de proposer des objectifs clairs à atteindre à l’échelle du prochain contrat de plan Etat-région qui puissent être évaluer à l’aide d’indicateurs conçus de manière pluraliste avec les APNE. La protection des intérêts économiques ne peut tenir lieu de politique environnementale. Bien au contraire le soutien durable à l’emploi passe ici comme à l’échelle de la Grande Normandie par une exploitation écologiste des ressources naturelles.

L’exemple du bois-énergie donne à voir la difficulté des pouvoirs publics locaux à articuler les enjeux économiques sociaux et environnementaux. Si le Schéma régional Climat-Air-énergie[34] adopté le 18 mars 2013 reconnaît l’importance des ressources forestières dans le cadre de la transition énergétique et des politiques d’atténuation du changement climatique[35], il intègre peu la dimension écologique :

Le gisement mobilisable en Haute Normandie reste conséquent. La dynamique de développement de cette filière est à poursuivre en adéquation avec le potentiel régional de bois mobilisable et ce, afin de garantir la gestion durable de la forêt haut-normande. Or les débouchés pour cette filière sont conséquents au regard du potentiel d’énergie substituable par le bois-énergie. Ces chiffres sont estimés à 1,36 millions de tonnes pour le chauffage collectif et 2,20 millions de tonnes dans l’industrie. Dans l’hypothèse très peu probable d’une généralisation du chauffage au bois, il faudrait donc fournir 3,56 millions de tonnes de ressources, soit dix fois plus que ce qui est actuellement disponible dans la région[36].

La forêt est considéré comme un gisement et non comme un espace vivant. L’ambition est de « doubler la ressource bois disponible » avec le seul souci de préserver non pas la biodiversité mais « des puits carbone« . On a bel et bien à faire à une vision très restrictive du bois-énergie et de la filière bois en général. Les objectifs présentés par la synthèse sont purement quantitatif[37]. Le SRCAE oubli clairement les enjeux environnementaux, par exemple celui de la gestion des rémanents[38] et promeut des orientations qui ne correspondent guère aux orientations identifiées par le SRCE. C’est le cas des haies.

Si le SRCE considère que la restauration du maillage arbustif des campagnes est un enjeu fort de préservation de la biodiversité, le SRCAE ne partage guère cette orientation. Ce document de 2013 voit tout au plus le bocage comme une ressource parmi d’autres. Si l’objectif AGRI 6 propose une  » Production de chaleur et d’électricité par l’utilisation du bois-énergie (fait l’objet d’orientations spécifiques : BAT 8 et ENR 2) ou de cultures ou résidus agricoles : paille, lin, Taillis à Très Courte Rotation (TTCR), haies,…[39]« , l’objectif AGRI 2 considère que  » L’évolution du mode de conduite d’exploitation peut aussi passer par des changements plus structurels, comme la restructuration parcellaire, permettant de regrouper les parcelles d’un même exploitant et ainsi limiter les déplacements[40]. » Comment s’étonner dès lors que le SRCAE promeuve des cultures dédiées pour réaliser ses objectifs ?

Beaucoup reconnaissent aujourd’hui qu’une telle orientation n’est pas soutenable surtout si elle n’est pas strictement encadrée[41]. Mais le SRCE ne dit pas grand chose à ce sujet. A la lecture de ce document d’orientation, nous en savons toujours pas si la Région et l’Etat vont favoriser ici une transition rurale qui garantisse la préservation de la biodiversité ou persévérer dans un soutien anachronique à des grandes cultures qui épuisent la Nature. Nous étonnons du reste qu’aucune mention à des Plans de gestion bocagers[42] envisagés par le SRCAE ne figure pas dans le SRCE… en dépit des revendications d’APNE rurales dont la légitimité est indéniable[43].

Somme toute, cet exemple pris parmi d’autres donne à voir l’ambigüité de la stratégie régionale de préservation de la Nature. Si l’on ajoute à cela l a modestie des mesures envisagées en faveur de « la réduction de la fragmentation et la disparition des points noirs[44]« , nous ne pouvons qu’exprimer une très vive déception à la lecture du SRCE. Seulement deux actions de renaturation des cours d’eau sont présentées… rien n’est dit sur les petits fleuves côtiers, rien n’est dit sur les ballastières[45], rien n’est dit sur l’impact des CNPE sur le littoral et le mot clapage ne figure même pas dans ce document.

*

Nous pouvons formuler trois avis sur le SRCE soumis à enquête publique :

1. Si nous reconnaissons le travail d’inventaire réalisé pour élaborer ce schéma régional,

2. nous déplorons le manque d’ambitions des plans d’action stratégique proposés,

3. et surtout nous regrettons le manque de cohérence entre ce SRCE et le SRCAE publié en 2013.

Nous attendons de la Région et des pouvoirs publics qu’ils formulent enfin une stratégie intégrée de développement durable qui aborde de manière cohérente les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.



[1] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/enquete-publique-sur-le-schema-a1491.html

[2] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Zones-vitales.html

[3] http://www.terraeco.net/Exclusif-le-1er-palmares-des,8766.html

[4] http://draf.haute-normandie.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/4-1_L_herbe_dans_le_territoire_cle0b9efe.pdf

[5]Schéma Régional de Cohérence Écologique de Haute Normandie, Version projet arrêtée suite au conseil d’orientation du 5 novembre 2013, p 37

[6] Ibidem, p 38

[7] http://www.senat.fr/rap/r07-131/r07-1314.html ; http://www.ledeveloppementdurable.fr/docs/biodiversite/fp/8.pdf ; http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/?pid=decouv_chapA_p2_f1&zoom_id=zoom_a2_1

[8] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf

[9] Schéma Régional de Cohérence Écologique de Haute Normandie, op. cit., p. 79.

[10] Ibidem, p. 62.

[11] Ibidem, p. 72.

[12] Ibidem, p. 79.

[13] ibidem, p. 80.

[14] Ibidem, p. 34.

[15] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Contenu-du-plan-national-d

[16] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_strategie_regionale_d_adaption_cle5d9194.pdf

[17] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Etat_des_lieux_cle5c1e7f.pdf

[18] http://www.eau-seine-normandie.fr/index.php?id=6901

[19] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2011-07-20_1er_Plan_Nal_Adapt-_Chgt_Climatique-2.pdf

[20] http://arehndoc.blogspot.fr/2012/08/la-risle-sengouffre-dans-une-betoire-et.html

[21] http://www.arehn.asso.fr/publications/cpa/cpa23.pdf

[22] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Avis_AE_SCOT_Plateau_de_Caux_Maritime_signe_le_26_octobre_2013_cle79b12b.pdf

[23] http://www.seinemaritime.fr/docs/dpt76-dossier%20de%20presse%20-%20colloque%20UNESCO.pdf

[24] http://www.debatpublic-eolienmer-fecamp.org/espaces-expression/contributions-cahiers-acteurs/cahier-acteur-detail87f1.html?id=14

[25] Le CESER appelle Rouen à miser sur la logistique pour exister à côté de la région capitale , http://www.drakkaronline.com/article154428.html

[26] http://www.territoires-haute-normandie.net/iso_album/sradt2007.pdf, p. 78.

[27] http://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/articles/la-nature-est-un-bien-commun-pas-une-marchandise-non-leur-economie-verte

[28] Droits de la nature : vers une reconnaissance de l’environnement comme bien commun de l’humanité ?

http://www.dailymotion.com/video/x1py0hw_droits-de-la-nature-vers-une-reconnaissance-de-l-environnement-comme-bien-commun-de-l-humanite_webcam

[29] http://www.liberation.fr/societe/2014/04/15/le-statut-des-animaux-progresse-dans-le-code-civil_997893

[30] http://www.fne.asso.fr/fr/reconnaitre-les-droits-de-la-nature-un-nouvel-outil-legislatif-pour-les-forets-tropicales-d-equateur.html?cmp_id=37&news_id=12521

[31] http://www.sante-environnement-travail.fr/minisite.php3?id_rubrique=892&id_article=2716 ; http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/023.pdf

[32] Schéma Régional de Cohérence Écologique de Haute Normandie, op. cit., p. 44.

[33] http://www.drakkaronline.com/article130081.html

[34] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/schema-regional-du-climat-de-l-air-a1353.html

[35] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Diagnostic_du_SRCAE_HN_adopte_en_mars_2013_cle76111a-2.pdf, p. 23, 66

[36] Ibidem, p 67

[37] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Synthese_SRCAE_HN_adopte_en_mars_2013_cle2e4abe.pdf, objectifs ENR 2 & 3 et AGR 6

[38] http://www.fne.asso.fr/fr/les-remanents-forestiers-ressource-economique-mais-surtout-elements-essentiels-a-la-perennite-forestiere.html?cmp_id=167&news_id=12020

[39] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Objectifs_et_orientations_du_SRCAE_HN_adopte_en_mars_2013_cle25d58c-2.pdf, p. 210.

[40] Ibidem, p 199.

[41] SOLAGRO, les impacts environnementaux et paysagers des nouvelles productions énergétiques, avril 2009, http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/energie_paysage_environnement_DGPAAT_2009_rapport_final.pdf

[42] Ibidem, p 237.

[43] https://sites.google.com/site/arbrepaysdebray/defendons-le-bocage-brayon

[44] Schéma Régional de Cohérence Écologique de Haute Normandie, op. cit., p. 96-100.

[45] à l’exception page 51 de la présentation du remblaiement très contestable de la ballastière d’Yville par des boues de dragage.